La géo-ingénierie posera de multiples problèmes politiques !
Ken Caldeira, climatologue à l’Institut Carnegie et à l’université de Stanford, co-auteur du 5eme rapport du GIEC sur les changements climatiques à long terme, a répondu aux questions de « L’Usine à GES ».
Un rapport sur la géo-ingénierie a été remis récemment à Washington par 18 experts
dont le groupe de travail dirigé par Ken Caldeira au sein du Bipartisan Policy Center. Il répond aux questions de Sabine Casalonga, de L'usine à GES.
Qu'est ce que la géo-ingénierie ?
Ken Caldeira : Cette approche vise à faire diminuer les risques climatiques associés aux GES émis
dans l'atmosphère. Il existe deux catégories principales de projets : ceux qui consistent à éliminer le dioxyde de carbone (CO2) émis par l'homme dans l'atmosphère (« carbon dioxide removal ») et
ceux, plus controversés, qui ambitionnent de contrebalancer le réchauffement dû aux GES par réflexion de la lumière du soleil vers l'espace (« solar radiation management »).
Au sein de la première catégorie, l'un des projets les plus bénins consisterait à planter des arbres, puisqu'ils absorbent naturellement le CO2 de
l'atmosphère. Il existe aussi des approches plus industrielles, comme l'injection, dans l'océan, de molécules chimiques ou de sédiments. Ces projets ont cependant un coût très élevé, des impacts
environnementaux locaux, et soulèvent la question de la disponibilité des sols ou sont marqués par des difficultés logistiques, une mise en oeuvre lente et un passage complexe à grande échelle.
En 2009, 8,4 gigatonnes (Gt) de carbone a été émises par les carburants fossiles et 1 Gt par la déforestation. Donc, vouloir compenser à 100 % les émissions dues à l'utilisation des énergies
fossiles par la reforestation est impossible. Les projets industriels de capture et stockage de carbone (CSC) semblent plus efficaces, mais leur coût reste élevé.
Quid du projet, plus controversé, de pulvérisation d'aérosols dans l'atmosphère ?
Ken Caldeira : Tout a commencé avec l'observation d'un phénomène naturel, l'éruption du volcan
Pinatubo en 1991. Les poussières émises lors de l'éruption sont restées, durant une année entière, dans la stratosphère, ce qui a refroidi l'atmosphère de 0,5 °C (les aérosols réfléchissent les
rayons solaires).
Or, nos modèles ont montré que, si une quantité similaire d'aérosols était maintenue en permanence dans la stratosphère, cela permettrait de compenser le
réchauffement de 3 °C attendu pour ce siècle (équivalent au doublement du taux de CO2 dans l'atmosphère). Une telle brumisation d'aérosols serait possible par
un avion en vol continu autour de la Terre, pour un coût estimé à plusieurs milliards de dollars par an. Cette solution est donc faisable en
théorie.
Des impacts négatifs potentiels existent toutefois. Après l'éruption du Mont Pinatubo, les débits du système fluvial du Gange-Brahmapoutre et de l'Amazone,
ont atteint des niveaux exceptionnellement bas, dus à la baisse de la pluviométrie liée au refroidissement artificiel de la Terre.
(...)
Les effets de la géo-ingénierie ne seront probablement pas uniformes sur la planète. Cela risque-t-il de provoquer des conflits géopolitiques
?
Ken Caldeira : Les effets varieront de région en région et il y aura
certainement des divergences politiques sur la décision de détourner les rayons solaires, d'une part, et sur les quantités concernées, d'autre part. Cependant, personne n'aurait intérêt à générer
des climats qui détruiraient de vastes zones de la planète. Le climat le plus propice pour la productivité économique mondiale est donc un climat bon pour tous.
Pensez-vous qu'un tel projet de géo-ingénierie puisse un jour être déployé ?
Ken Caldeira : Seule une situation d'extrême urgence le justifierait, d'après moi, comme des famines
massives. Il est, en effet, très difficile d'imaginer un consensus international sur un sujet aussi controversé, à moins que la situation ne soit vraiment grave. D'autant que, même si le système
fonctionne comme prévu dans le modèle, des événements climatiques extrêmes, comme des vagues de chaleur ou des sécheresses, pourront toujours lui être attribués. Les victimes se
retourneront contre les initiateurs du projet. La probabilité de générer des frictions géopolitiques, voire de conflits militaires, serait élevée. D'autre part, un risque associé à des effets non
prévus par les modèles demeure.
Quels résultats votre équipe va-t-elle présenter au congrès WRCP à Denver ?
Ken Caldeira : Nous avons évalué les conséquences d'une pulvérisation d'aérosols limitée aux régions
polaires, où le changement climatique se déclare plus précocement, avec l'espoir de ne pas interférer avec le climat global. Or, nos résultats indiquent qu'il n'est pas possible de confiner
l'impact d'un projet de géo-ingénierie sur les pôles : des effets seraient détectables sur la quasi-totalité de l'atmosphère terrestre.
(...)
Que pensez-vous du récent report d'un test de géo-ingénierie au Royaume-Uni ?
Ken Caldeira : Il s'agissait uniquement d'un test consistant à vérifier la faisabilité de l'installation d'un brumisateur d'eau
dans l'atmosphère, en vue de la remplacer un jour par un composé chimique. D'un côté, j'estime qu'une telle expérience bénigne devrait être autorisée. D'un autre, je pense que ce projet est
imprudent, car il risque d'exacerber la défiance du public envers les scientifiques, les politiques et les entreprises. La crainte de l'absence d'un réel contrôle démocratique
pour la réalisation des essais de géo-ingénierie est une préoccupation légitime.
Voir l'interview complète sur L'usine à
GES
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