Géoingénierie de la planète : quel enjeu pour l’Afrique ?
Diana Bronson
http://pambazuka.org/en/category/features/67522
© beehive collective.org
La géoingénierie joue un rôle de plus en plus important dans l’approche adoptée par le Nord pour contrer le changement climatique, écrit Diana Bronson. Ses
partisans se montrent dédaigneux des conséquences sociales et environnementales potentielles pour les populations autour du monde.
Alors que la géoingénierie – la modification intentionnelle à grande échelle des systèmes terrestres, y compris les systèmes climatiques – peut sembler
relever de la science-fiction, c’est en fait un sujet brûlant d’actualité au sein des cercles politiques travaillant sur le changement climatique dans les pays industrialisés. Les impacts de
cette orientation politique émergente sur l’Afrique – et ceux des technologies associées, si jamais elles étaient
déployées – sont quant à eux moins fréquemment abordés. Avec la publication du rapport de la Royal Society du Royaume-Uni l’année dernière[1], les réunions
organisées par la National Academy of Sciences, les auditions au Parlement britannique et au Congrès américain [2], les millions de dollars débloqués pour la recherche par certains milliardaires
bien connus (comme Bill Gates, fondateur de Microsoft, et Richard Branson de Virgin Airlines[3]) et le lancement de nouveaux programmes, il est temps que les acteurs de la société civile et les
gouvernements du reste du monde prêtent attention. En fait, un débat international transparent et démocratique sur ces stratégies et ces technologies aurait déjà dû avoir lieu depuis
longtemps.
Le changement climatique, comme le montrent avec évidence les dommages non intentionnels déjà infligés à notre planète surchargée, ne respectera pas les
frontières nationales. Les géoingénieurs (scientifiques, entrepreneurs et militants politiques) proposent d’étudier, évaluer et finalement utiliser un certain nombre de
technologies.
Celles-ci se classent en trois grandes catégories :
1 – La première série de stratégies de géoingénierie est connue sous le nom de « gestion de la radiation solaire » (solar radiation management ou SRM). Ces propositions visent à réduire la quantité de lumière solaire atteignant la planète en faisant en sorte qu’elle soit davantage réfléchie et renvoyée dans l’espace, et de réduire d’autant le réchauffement atmosphérique. Cette stratégie est également décrite comme l’augmentation de l’albédo terrestre. Les propositions avancées dans ce domaine incluent le lancement dans la stratosphère de quantités massives de dioxyde de soufre, ou d’aérosols d’aluminium, ou de nanoparticules manufacturées, le blanchissement des nuages par l’aspersion d’eau de mer, la couverture des déserts par du plastique, l’application de peinture blanche sur les sommets des montagne ou la création d’une couche de bulles faisant écume à la surface de l’océan.
2 – Une deuxième série de technologies regroupe les efforts visant à aspirer des mégatonnes de gaz à effets de serre hors de l’atmosphère et à les piéger
soit biologiquement, soit mécaniquement. Parmi les stratégies proposées, celle de rejeter du fer ou de l’urée dans la mer afin de « fertiliser » des zones pauvres en nutriments et stimuler ainsi
la croissance de phytoplanctons qui, théoriquement, séquestreront le CO2 de l’atmosphère dans la mer. À ce jour, cela n’a jamais fonctionné. On trouve également dans ce groupe des projets visant
à changer la chimie des océans afin d’augmenter l’absorption du CO2 (connus sous le nom de météorisation améliorée, enhanced weathering), des arbres artificiels ou des machines aspiratrices de
carbone, et l’appropriation puis le brûlage de résidus végétaux (forêts et cultures) en un charbon (appelé biochar ou biocharbon) qui serait par la suite enterré pour en séquestrer le
carbone.
3 – Une troisième série de propositions de géoingénierie ne porte pas directement sur le contrôle du climat, mais essaye plutôt
d’agir au niveau des phénomènes météorologiques – en intervenant pour réduire ou rediriger les ouragans, ou pour « ensemencer » les nuages afin de catalyser des chutes de pluies dans les régions
sèches. De telles technologies sont déjà fréquemment utilisées (150 exemples dans 40 pays selon un rapport [5]), souvent en lien avec des objectifs et institutions militaires, l’exemple le
plus connu étant leur utilisation par les États-Unis pour entraver les mouvements des troupes ennemies
pendant la guerre du Vietnam. Souvent, les débats sur la géoingénierie omettent ces modifications météorologiques, mais comme l’historien James Fleming l’a démontré de manière
convaincante dans son livre Fixing the Sky, les racines historiques et philosophiques des propositions contemporaines de géoingénierie sont dans la droite
ligne des nombreuses tentatives plus anciennes pour contrôler le climat.
Toutes ces propositions vont avoir des impacts sociaux et environnementaux qui seront ressentis bien au-delà des régions du monde où seront prises les
décisions de les déployer. En fait, alors que les discussions scientifiques deviennent de plus en plus sophistiquées et que la géoingénierie gagne en crédibilité à
Washington et à Londres comme « plan B » pour le climat, la question de savoir comment de telles technologies devraient être gouvernées
internationalement commence à émerger. De plus en plus, les partisans de la géoingénierie rejettent une approche multilatérale où tous les pays auraient un
siège à la table, et parlent de « bottom-up » [initiatives « ascendantes » depuis la base], de « soft law » [instruments « mous » de doit international] ou d’engagements volontaires comme
substituts au droit international[6]. Apparemment oublieux du fait que les pays industrialisés ont saboté toute
réponse multilatérale sensée au changement climatique, ils déclarent maintenant que davantage d’arrangements informels de gouvernance sont nécessaires. Comme
peut-être une gouvernance globale exercée par l’OCDE (Organisation pour la coopération économique et le développement), le G20 ou le Forum des principales économies ? Ou simplement une coalition
des volontaires ? Tout en tout cas sauf les Nations unies, où chaque pays bénéfice
d’un siège.
Aérosols stratosphériques et impacts sur les sols
L’une des plus connues des technologies de « gestion de la radiation solaire » implique de lancer des minuscules particules de
dioxyde de soufre ou d’aluminium dans la couche supérieure de l’atmosphère connue sous le nom de stratosphère (jusqu’à 50km de la terre). Cette démarche se modèle en partie sur la
poussière dispersée par de grands et puissants volcans, afin que davantage de lumière solaire soit réfléchie dans l’espace qu’à l’ordinaire, ce qui permettrait ainsi un effet refroidissant sans que soit du tout réduite la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Ce refroidissement artificiel traite le symptôme plutôt que la cause du réchauffement climatique, et entraînerait de nombreux
effets indirects négatifs. Personne ne sait vraiment exactement ce que ces effets seront, car les modèles informatiques sont notoirement simplistes, et ne peuvent précisément prédire
comment un système climatique complexe réagira aux expériences des ingénieurs. Même les meilleurs scientifiques ne
comprennent pas vraiment comment fonctionne le système climatique. Cependant, un des effets mis en avant par plusieurs simulations informatiques et par l’étude des exemples
historiques (comme l’éruption du Mont Pinatubo en 1991) est la diminution des précipitations et l’augmentation des perturbations dans les moussons africaines et indiennes. Nul
besoin d’ajouter que cela entraînerait des bouleversements de la production agricole, menaçant potentiellement l’approvisionnement
alimentaire d’environ 2 milliards de personnes[7].
Parmi les impacts négatifs potentiels de cette technologie, des ciels plus blancs, des dommages à la couche
d’ozone, une baisse d’efficacité de l’énergie solaire, l’obstruction de l’astronomie, la poursuite de l’acidification des océans, et foule d’autres perturbations non anticipées des
écosystèmes. Enfin, si les injections devaient être soudain stoppées, un réchauffement très rapide et dangereux s’ensuivrait, sans laisser le temps aux
humains ou à l’écosystème de s’adapter[8].
C’est aussi l’une des technologies les plus centralisées, et probablement aussi peu chère à mettre en oeuvre que rapide
à causer un impact. Les institutions militaires et leurs soustraitants seraient certainement sollicités pour développer les équipements nécessaires (Boeing, par exemple, y travaille déjà).
Un seul État, une petite coalition de pays, une entreprise ou même un individu pourraient exécuter un tel projet pour une somme relativement modeste.
D’autre part, qui déciderait à quelle température le thermostat de la terre doit être fixé ? Qui contrôlerait la taille des particules à utiliser ? Et qui aurait le pouvoir d’annuler une telle expérience si ses effets étaient pires qu’escomptés ? Des guerres ont lieu pour moins que ça. Enfin, il n’y a aucun « terrain d’expérimentation » où « l’option stratosphérique » pourrait être testée – nous avons seulement une planète. Un test à très petite échelle a déjà été effectué en Russie[9], mais il ne peut actuellement rien prouver quant à la manière dont réagiraient les aérosols s’ils étaient déployés à l’échelle massive nécessaire à la modification du climat.
Comme Alan Robock et ses collègues l’ont écrit : « La géoingénierie ne peut être testée sans mise en oeuvre à échelle globale. La production initiale de
gouttes d’aérosols peut être testée à petite échelle, mais la manière dont elles évolueront en taille (qui détermine le taux d’injection nécessaire pour produire un refroidissement donné) ne peut
être testée qu’en réalisant des injections dans un nuage d’aérosol existant, qui ne peut être confiné à une localisation. D’autre part, la variabilité du temps et du climat exclut toute
vérification de la réponse climatique sans mise en oeuvre à grande échelle sur une durée d’au moins une décennie. De telles applications à grande échelle pourraient induire des bouleversements
substantiels dans la production alimentaire. »[10]
Source: http://supahumandignity.blogspot.com/2011/02/nouvelles-technologies-en-afrique-une.html
Commenter cet article