Fibres et particules, une possible solution !
La poudre antinuage !
Ras le bol de la pluie et de ces gros nuages noirs ? Appelez donc les avions de Dyn-O-Mat. Les coucous de cette société américaine jettent leur poudre de
perlimpinpin sur lesdits nuages, et pfff ! ciel bleu garanti... Ca marche ! La preuve.
Connaissez-vous Miami, en Floride ? Ses plages, ses palmiers et son ciel invariablement bleu attirent les retraités du monde entier. Été comme hiver, ces
papys et mamies adeptes de peau dorée ne lèvent jamais les yeux au ciel : à quoi bon ? habituellement, pas un nuage ne se montre à l'horizon. Le soleil brille du matin au soir... sauf si l'une de
ces tempêtes tropicales, qui balayent tout sur leur passage, se prépare. Alors il faut vite rentrer chez soi et prier le ciel pour qu'il vous épargne. Mais à Miami, rien n'est impossible. Une
petite société vient d'inventer le moyen de faire disparaître... les cyclones ! Leur premier essai le 18 juillet dernier (2001), a remporté un franc succès. Les météorologues préposés à la
surveillance des écrans radars sont restés bouche bée: après avoir identifié quelques nuages sombres suspects, ils les ont vus disparaître aussi sec !
Ha ! Ha ! ricanez-vous, soupçonnant le bidouillage informatique. Pas du tout. Non seulement l'image du cyclone en préparation a disparu, mais en plus, les
gros nuages menaçants sont peu à peu devenus quasi transparents. Le tout en quelques heures. Pour accomplir ce miracle, l'équipe de Peter Cordani dispose d'une flottille d'avions. Des petits
coucous faciles à manier qui peuvent tout juste s'élever au-dessus des nuages.
Lorsque les aviateurs embarquent pour une virée, ils emportent dans leur besace un peu de cette poudre commercialisée depuis une dizaine d'années par la
société Dyn-O-Mat. En passant au-dessus de gros cocons gris porteurs d'orages et de tempêtes les avions se prennent pour des sucriers géants. Une petite pincée par-ci, une grosse louchée par-là,
et voilà, ils saupoudrent le futur foyer de tempête. Un petit tour supplémentaire pour s'assurer qu'aucun gros nuage n'a été oublié, et puis retour sur le plancher des vaches d'où ils peuvent
surveiller la couleur du ciel. À moins qu'ils soient invités avec leurs potes de la météo à suivre en direct la disparition des nuages.
Éponger l'humidité
Celui qui s'est volatilisé ce 18 juillet (2001) sous les yeux ébahis des météorologues était une masse grise de 1,6 km de long, s'étendant sur 4 km de
hauteur. Il a nécessité plus de 4000 kg de poudre. Depuis, Cordani et ses hommes savourent leur pouvoir sur ce qui était jusque-là du domaine du surhumain... Or, ces chevaliers qui mènent
croisade contre les pluies diluviennes expliquent simplement que les masses gorgées d'eau se transforment en cocons asséchés.
Quelle est donc la vraie composition de ces poudres de perlimpinpin que la société de Miami accommode à toutes les sauces ?
Car elle en propose toute une variété destinée à des tâches diverses: elles peuvent absorber de 300 à 1000 fois l'équivalent de leur poids en liquides,
depuis la nappe de pétrole répandue en plein océan jusqu'aux flaques d'acide et autres produits dangereux malencontreusement déversés. À
chaque fois, une variante de la fameuse poudre fait disparaître en un temps record le liquide indésirable. Du coup, on en trouve aussi dans les couches-culottes: au contact de l'urine, la poudre
se transforme illico en gel et maintient ainsi emprisonné le liquide. Résultat: bébé au sec, maman ravie, et aucune fuite, même si l'enfant est un brin contorsionniste. En effet, contrairement à
l'éponge, qui relâche tout le liquide dès qu'elle se trouve comprimée, le produit ici utilisé ne connaît pas de défaillances.
Molécules à rallonges
Le secret de cette tenue irréprochable ? La poudre est faite de longues chaînes de molécules: des polymères. Un des plus connus d'entre eux est le
polystyrène. Chaque grosse molécule de polystyrène est faite de 10 000 molécules de styrène, elles-mêmes essentiellement des assemblages de
carbone et d'hydrogène. Le polymère ressemble donc à un spaghetti de 3µm (micro-mètres) de long, soit trois millionièmes de mètres, ce qui est très long pour une seule
molécule. D'autres polymères, notamment ceux utilisés pour stopper les tempêtes, peuvent être un peu moins longs, mais ils sont toujours faits de chaînes
carbonées.
Comment opèrent donc ces paquets de nouilles ? Disons qu'en présence d'eau, ces molécules, qui d'habitudes sont toutes repliées et enroulées sur elles-mêmes
comme des pelotes, se dissocient et se déplient comme de longs serpents. S'ils sont en quantité suffisante, les polymères forment des réseaux
de longues chaînes enchevêtrées qui retiennent le liquide. "À partir d'une certaine quantité de polymères, le liquide se trouve emprisonnée. L'ensemble forme alors une substance visqueuse qui ne coule pas" explique Françoise Lafuma, de l'ESPCI (l'École supérieure de physique-chimie industrielle de la ville de
Paris). "Lorsque le liquide est de l'eau pure, chaque gramme de poudre de polymère peut absorber jusqu'à 1000 g d'eau. Beaucoup moins si l'eau est salée".
La raison ? en présence de sel, qui se dissocie dans l'eau aussi, les polymères reprennent leur forme de pelote. En boule, ils ne gênent plus l'écoulement du
liquide. Autrement dit, ils ne retiennent plus rien. Heureusement, la flotte contenue dans les nuages d'orage n'est pas chargée en sel. La poudre fétiche peut donc retenir une grande partie de
l'humidité. Mais l'équipe de Miami compte aussi sur les propriétés de l'eau salée. Car une fois la tempête disparue, le produit ne restera pas éternellement dans le nuage. Cette substance gélatineuse gorgée d'eau va bien finir par retomber et Peter Cordani espère bien que ce sera dans l'océan. Là, au beau milieu de l'eau salée, les
polymères se remettront en boule, libéreront l'eau des nuages et disparaîtront dans la mer. Il affirme haut et fort que ses nouilles sont biodégradables et sans danger pour
l'environnement.
Invérifiable, bien sûr, tant que la nature exacte de ces polymères reste un secret industriel. "C'est possible, car il y a beaucoup de polymères
biodégradables, mais leur coût de fabrication est bien plus élevé, et vu les quantités faramineuses de produit nécessaires pour stopper une tempête alors l'opération doit coûter cher !" juge
Françoise Lafuma. Et si par malchance, le tout retombe sur la terre ferme ? Parions que ce sera encore la faute aux mouette. Mieux vaut tout de même recevoir
une très grosse déjection de perlimpinpin qu'une tempête tropicale !
Un polymère à l'eau
Un polymère est une très grosse molécule, faite d'une chaîne carbonée, des atomes d'hydrogène accrochés à des atomes d'oxygène. La raison de cette liaison
est que l'atome d'oxygène porte une petite charge électrique négative.
En revanche, l'hydrogène est chargé positivement. Les deux charges électriques de signes contraires s'attirent. Du coup, l'ensemble est neutre et l'oxygène
reste ainsi lié à l'hydrogène. En temps normal, les polymères forment des pelotes (1).
Si on les met dans l'eau, au début rien ne se passe: en boule, les polymères n'empêchent pas l'eau de couler. Mais après que notre spaghetti a bien trempé,
son hydrogène part s'associer à une molécule d'eau, H2O (2).
Ensemble, ils forment une bête curieuse de la chimie: trois atomes d'hydrogène (deux de l'eau et un du polymère, qui conserve sa charge positive) avec un
atome d'oxygène, qui vient de l'eau. Voici donc H3O+, ion (DICO) formé d'une molécule d'eau et d'un atome du polymère. Du coup, chacun des oxygène de celui-ci, libéré des hydrogène, se retrouve
avec une charge négative. Bref, le polymère se transforme en une sorte de mille pattes où une charge électrique négative est accrochée à chaque patte. Or, comme deux charges de même signe se
repoussent, les pattes de notre nouille, toutes chargées négativement, ne peuvent s'approcher les unes des autres (3).
Résultat: la pelote se transforme en une longue brindille. Les chaînes s'enchevêtrent et forment un réseau comme si un filet aux mailles microscopiques
retenait l'eau (4). Mais ajoutez un peu de sel et les polymères relâchent partiellement la flotte (5). Pourquoi ? Dans l'eau, le sel de cuisine (NaCI), fait d'un atome de sodium (Na) et d'un
atome de chlore (CI), se dissocie: le sodium devient un ion chargé positivement (Na+) tandis que le chlore garde une charge électrique négative (CI-).
Forcément, les ions sodium vont rencontrer les chaînées de polymères déployées avec leurs milles pattes d'oxygène porteuses d'une charge électrique négative.
Aussitôt le sodium positif s'approche alors de l'oxygène (6). Le polymère redevient neutre et se remet immédiatement en boule. Il perd alors, plus ou moins selon la salinité du milieu, son
pouvoir absorbant. Il passe de nouveau inaperçu dans l'eau (7).
Azar Khalatbari pour Science & Vie Junior n°145 (Octobre 2001)
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