Climat : la géo-ingénierie n'est plus un concept stratosphérique
Quelques heures seulement après qu'une résolution prohibant les tentatives de géo-ingénierie ait été adoptée à la conférence des
parties de la Convention sur la Diversité Biologique à Nagoya, le Président démissionnaire de la Commission pour la Science et la Technologie de la Chambre des Représentants, Bart Gordon,
dévoilait le 29 octobre un rapport appelant à une poursuite des recherches sur ce sujet controversé.
L'ingénierie du climat, souvent qualifiée de "géo-ingénierie", consiste à volontairement altérer le climat en vue de contrer ou au moins d'atténuer le changement climatique d'origine anthropique. On regroupe généralement les techniques de géo-ingénierie en 2 grandes catégories : le retrait du carbone
atmosphérique ( "fertilisation" des océans, augmentation des surfaces boisées, etc.) et la gestion du rayonnement solaire (dispersion d'aérosols dans la haute
atmosphère, positionnement de miroirs réfléchissants en orbite, etc.). Cette seconde catégorie est celle qui pose le plus de problèmes éthiques, politiques, et donc de gouvernance.
Le sujet a fait l'objet de débats intenses, tant au sein de la communauté des climatologues que devant les assemblées parlementaires, où toute mention de changement climatique suscite des levées
de bouclier. Tout en reconnaissant les énormes défis et risques présentés par ce type de recherche, et en réaffirmant l'absolue nécessité de maintenir toutes les ressources et l'attention
possibles sur les efforts d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre, le Président Gordon réaffirme que les Etats-Unis, et le monde, ne peuvent faire
l'économie d'une recherche qui permettrait de réagir en cas d'urgence environnementale (effets de seuils imprévus, dérèglements climatiques majeurs, etc.). L'argument principal consiste à
dire que si les autres efforts (atténuation, adaptation, etc.) échouent, il n'est pas raisonnable de ne pas avoir exploré toutes les autres options, car il sera alors trop tard.
Le rapport de la commission Science et Technologie encourage le développement d'un programme de recherche aux Etats-Unis, vraisemblablement hébergé par le Department of Energy, avec une forte
implication du public et d'intenses collaborations internationales. Ce rapport liste les nombreuses agences dont une partie des travaux et/ou missions se rapportent à la géo-ingénierie, tout en
soulignant qu'aujourd'hui, la recherche sur la géo-ingénierie proprement dite reste difficile à cerner tant sa définition est large et floue. En tout état de cause, la recherche qui aurait des
proximités avec, ou des implications pour, la géo-ingénierie atteint au maximum $100 millions, contre près de $2 milliards demandés dans le budget 2010 pour
l'ensemble des recherches liées au climat et aux sciences de la Terre. Le chiffre souvent avancé est d'ailleurs inférieur à $10 millions pour la recherche en géo-ingénierie proprement
dite.
Le Government Accountability Office (GAO), organe indépendant de l'administration a lui aussi livré, le mois dernier, un rapport recommandant que les décideurs publics - quelle que soit leur
décision quant à la poursuite d'un programme de recherche national - ne fassent pas l'impasse sur la compréhension des enjeux de la géo-ingénierie, car ils y seront inévitablement confrontés sur
le plan international. Le GAO recommandait en conclusion que la Maison Blanche établisse en concertation avec les agences fédérales une approche "claire et coordonnée" de la recherche en
géo-ingénierie dans le cadre de la stratégie fédérale de lutte contre le changement climatique.
Sur le plan politique, la recherche en matière de géo-ingénierie occupe une place unique : malgré les craintes d'une partie des environnementalistes (en raison du risque de relâchement des
efforts sur l'atténuation), ces derniers sont de plus en plus nombreux à concéder qu'il n'est pas possible d'exclure cette troisième voie, complémentaire de l'atténuation et de l'adaptation. A
l'autre bout de l'échiquier, certains conservateurs, et notamment quelques climato-sceptiques, sont partisans de la géo-ingénierie, en raison de son coût
modique (en comparaison des coûts induits par l'atténuation et l'adaptation).
Paradoxalement, cette technologie encore balbutiante, dont la gouvernance est quasi-inexistante et dont les risques d'irréversibilité sont élevés, est l'une des rares dans le domaine des sciences
climatiques où un consensus minimum semble pouvoir être atteint. Le financement des recherches scientifiques et la quête de règles de gouvernance en matière de géo-ingénierie pourrait donc
survivre au bouleversement de l'échiquier politique du 2 novembre, alors que celui-ci scellera probablement le sort de toute autre avancée en matière de législation
"climat".
Source : http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/65013.htm
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